L’enfance au service du vachisme Lors d’une campagne médiatique pré-exposition très contrôlée, Art on Cows a savament construit sa valeur symbolique relayée par plus d’une centaine d’articles et interviews presque tous identiques. La conquête physique est toujours plus aisée quand elle est précédée par la conquête des sentiments. « Tout le monde aime les vaches, c’est comme ça ! » D’entrée de jeu ce discours ne laisse aucune place au choix individuel. Soit vous êtes comme tout le monde, soit vous risquez d’être contre tout le monde ! Populisme primaire lorsque La Vache devient le gentil symbole protecteur d’un étrange rassemblement d’individus infantilisés par une idée trop simple « On aime ça, c’est comme ça ! » La vache nous est présentée par les nombreux communiqués de presse d’Art on Cows comme « un animal maternel, pacifique, qui nous amène beaucoup de bonnes choses dans la vie… » Son lait n’est-il pas le premier aliment extérieur qui vient remplacer le lait de notre maman. Nous avons tous cette expérience en commun. Nous sommes tous des grands enfants, des petits gervais plein les poches. Ce rapport puissant maman-enfant sera l’un des investissements symboliques qui traversera toute la campagne médiatique d’Art, Fun & Charity. Tropica est la première firme à avoir acheté une vache et sa bête fut décorée « non par un artiste de renom, mais par les enfants des journalistes présents lors du lancement de son nouveau produit. » Dans la presse, les clichés d’enfants occupés à colorier les contours formatés de la vache protectrice s’accumulent. En opposition à un art inacessible réservé à une élite intellectuelle, toutes ces petites têtes enfantines peinturlurantes ne sont-elles pas la démonstration du caractère créatif, ludique, spontané et joyeux de l’activité artistique populaire ? L’enfant est une métaphore poétique de l’artiste. Celui-ci n’est-il pas considéré comme un grand enfant soumis aux conditions d’un art qui ne pose aucune question, vide de sens, uniforme, qui invite à un habillage docile dans le plus grand respect des commanditaires ? Dans la « convention d’habillage » qui lie l’artiste à son patron-sponsor, les articles 1 et 3 stipulent que le travail de l’artiste doit être réalisé dans le respect des règles déontologiques dictées par les organisateurs ; cette formulation vague donne en fait aux organisateurs le pouvoir de juger la production artistique afin que la vache coloriée ne puisse pas contrarier les valeurs des sponsors et des organisateurs. Aucune garantie concernant la rémunération minimum de l’artiste n’est indiquée dans les contrats d’Art on Cows. Comme un enfant, l’artiste est content de créer ; insouciant et fragile, il a besoin de la protection financière du patron. Le quota de lait nourricié sera donc discuté dans la confidentialité. La variable de la rémunération de l’enfant-artiste sera livrée au libre arbitrage du patron protecteur. Les promoteurs désinteressés et les gentils organisateurs ont par contre, tous, des garanties financières pré-etablies soit par un prix fixe, soit par un pourcentage fixe de leurs gains. Aides sociales : Art on cows a grâcieusement offert quinze vaches vierges à des ASBL soutenues par la ville de Bruxelles. Ces associations d’aide à l’enfance auraient pu recevoir trente vaches au lieu de quinze, si la ville de Bruxelles n’avait pas refusé de mettre la police au service de la parade. Pour Art on Cows, l’aide sociale a donc une valeur qui se compte en nombre de policiers. Revenons à l’enfant défavorisé qui aura donc le privilège de participer à l’évènement culturel le plus imbécile de la décennie sous l’œil attendri des photographes. La grosse vache à lait impose son projet pédagogique régressif, qui propose à l’enfant le coloriage du logo d’une multinationale. Une aliénation de la créativité par la réduction du champ des possibilités. Il en résulte une série d’objets préfabriqués conformes aux désirs de la société de consommation. Le lait médiatique d’Art on Cows est une insulte à l’idée de la pédagogie qui, dans des conditions difficiles, construit des outils au service de l’autonomie de l’enfant pour qu’il gagne sa liberté face au cadre imposé de la société du spectacle toujours plus puissante. Caritatif : les sponsors qui ont acheté une vache sont invités à la céder pour une seconde vente aux enchères. « Leur intérêt est triple : ils récupèreront 25% des bénéfices…ils seront les seuls à pouvoir exposer leur vache sur la Grand Place de Bruxelles… ils jouiront d’une publicité supplémentaire grâce à la promotion qui sera faite autour de la vente» Les arguments sont clairs, le caritatif est un très bon placement pour les sponsors. Les organisateurs profiteront aussi de la seconde vente aux enchères, l’occasion pour eux de se rémunérer une seconde fois. Seulement 33% du beurre de la seconde vente sera versé au profit des enfants malades. Dernier épisode lamentable de la vache protectrice au service de l’innocence. La charité est un double échange : premièrement, elle soulage le manque du bénéficiaire, secondement elle soulage la conscience du donateur. Pour Art on Cows, la charité est l’alibi du bénéfice financier d’une bande de commerciaux déguisés en philantropes d’intérêt public. Des bons sentiments jusqu’à l’écoeurement. La vache, le lait, le beurre, l’argent du beurre. Tout le monde aime les enfants, c’est comme ça ! |