Vaches caritatives ou le social mis aux enchères L’aspect caritatif de l’événement "Art on cows" est louable en soi. Il est louable de permettre à des jeunes (défavorisés ?) de participer à cet événement en réalisant leur vache. De même, il est tout aussi louable d’octroyer 33 % du produit des ventes des vaches à des associations oeuvrant en faveur de "l’Enfance et de la Jeunesse bruxelloise en détresse et défavorisée". Mais, quand on y réfléchit, il n'y a rien de bien neuf sous le soleil. Nombre d'entreprises privées ont déjà montré leur fibre sociale. Il suffit de penser au très médiatisée "Télévie"… Mais l’approche apparaît maladroite à plus d’un point. Tout d’abord, il y a les termes utilisés : "Pour la charité", "Action caritative", "Action de bienfaisance", "Enfance et jeunesse en détresse ou défavorisée". Des termes qui font tellement XIXème siècle. Déjà que le secteur social se sent dévalorisé... Là, en un coup, il est renvoyé au temps où les classes aisées faisaient du social à grands coups de paternalisme condescendant. Elles agissaient alors en fonction de ce qu’elles estimaient bon pour les plus défavorisés, sans vraiment répondre aux attentes les plus criantes de la société. Le privé suppléait alors aux carences du pouvoir public. Bien sûr, le secteur de l’enfance et de la jeunesse en détresse ou défavorisée, en milieu hospitalier, a des besoins. Il ne s’agit pas de rabaisser ou de minimiser le travail effectué par les associations s’adressant à ce public. Il est important d'accompagner des enfants atteints de maladies incurables et d'offrir des structures d'accueil aux proches. Ce secteur a donc droit à sa part du gâteau. Mais, on est en droit de se demander pourquoi les pouvoirs publics n'y porte pas plus d'attention, au point que des associations doivent se tourner vers le privé ? Réfléchissons maintenant aux problèmes actuels de Bruxelles. Le plus important n'est-il pas la pauvreté ? Avec pour corollaires le sans-abrisme et le manque de logements... Le Parlement bruxellois a pourtant voté suffisamment de rapports sur la pauvreté démontrant l'ampleur du phénomène. Le ministre du Logement bruxellois a également signalé que près de 50 % des Bruxellois sont suffisamment pauvres pour accéder à un logement social. Aussi, pourquoi la Ville de Bruxelles n'a-t-elle pas inciter le sponsor principal, Robelco, à inscrire dans cette opération caritative une association travaillant avec des pauvres ? Juste une. Une toute petite qui serait venu se placer modestement aux côtés de celles oeuvrant pour l’enfance et la jeunesse. Les associations actives avec les pauvres ne manquent pas, elles sont connues des autorités publiques et leurs besoins sont réels. Mais bon, peut-être n'est-il pas de l'intérêt d'un acteur immobilier, tel Robelco, d'oeuvrer dans ce sens. N'empêche ! S'il l'avait fait, il aurait été plus en phase avec la réalité. Enfin, le 16 octobre, les vaches vont être mises aux enchères. Les organisateurs espèrent pouvoir disposer de 30 à 40 vaches pour l’occasion. Il est prévu d’octroyer 33 % du produit des ventes aux associations caritatives. Attention! Ici, on table sur des rentrées potentielles. C’est un peu comme si le secteur social jouait en Bourse pour s’autofinancer. Il y a de quoi se poser des questions. Les pouvoirs publics sont-ils en train de se désinvestir du secteur social ? Cette mise aux enchères ressemble quelque peu à une libéralisation larvée du secteur non-marchand. Car si les enchères rapportent beaucoup, quelles seront les conclusions tirées par les pouvoirs publics ? Y verront-elles un moyen de faire financer le secteur associatif par le privé et, par la même occasion, un prétexte de réduire leurs subsides ? Peut-être. Depuis quelques années, la tendance est effectivement d’inciter le secteur non-marchand à s’adresser aux privés pour obtenir des financements, plutôt que de se contenter des subventions publiques. Les pouvoirs publics semblent fatigués d'être la vache à lait du non-marchand. On les comprend. Mais le privé offre-t-il une meilleure alternative ?
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