La Grande Parade médiatique
Précédée
par un troupeau de journalistes qui l'a annoncée pendant des mois
comme l'événement bruxellois de l'été, l'exposition
Art on Cows a bénéficié d'un marketing savamment
orchestré. Cette "Cow Parade" bruxelloise a ainsi entraîné
les médias dans un élan d'enthousiasme infantile et quasi-unanime.
Jusqu'au ridicule…

Les vaches
sont funs, chouettes, sympas ou vachement belles, c'est selon les articles.
Elles animent l'espace public. Les Bruxellois les aiment. En plus, elles
sont "sociales" et "bienfaisantes". C'est donc une
belle idée, rafraîchissante, drôle et utile, commente
par exemple "Télémoustique". Et puisque tout le
monde semble y trouver son compte, à quoi bon entrer dans d'inutiles
polémiques sur la privatisation de l'espace public ou encore sur
la place du marketing dans la vie artistique…? Au sujet d'Art on
Cows, quasiment aucun journaliste n'a donc soulevé la moindre question
sur la réelle nature artistique, caritative ou sociale de l'événement.
Au contraire: le language médiati-cow a transformé sans
vergogne les sponsors (patrons, selon les plaquettes apposées aux
pieds des vaches) en mécènes, et a utilisé les artistes
comme des faire-valoir, à peu près jamais sollicités
pour s'exprimer sur ce qui était pourtant présenté
comme leurs oeuvres. Dans la ferveur médiatique et la torpeur de
l'été, même les journaux spécialisés
ne se sont pas attardés à chercher des poux dans le pelage
bovin. Dans l'abondante lecture que nous avons avalé pour vous,
seul un petit encart de l'hebdo "Zone 02" s'interrogeait sur
la dimension prétendument artistique du projet, comparant la vache-à-peindre-pour-artiste
à un croquis-à-colorier-pour-enfant.Quant aux critiques,
elles ont été présentées dès le début
comme marginales et émanant de quelques intellectuels sans doute
trop sérieux pour être sensibles à la fraîcheur
de cette initiative qui montre que l'on a de l'humour en Belgique. La
couverture médiatique fut donc à la hauteur des attentes
de ses organisateurs. Maximale. Les rédactions s'emparèrent
du sujet comme un seul homme: il fut question des vaches dans les rubriques
culturelles comme régionales, de société comme de
mode… Seuls la météo et les mots-croisés furent
épargnés.
Comme
subjuguée, la presse réserva ce traitement élogieux
dès les balbutiements du projet. Mais il y eut ensuite sa concrétisation,
la confection des vaches, l'inauguration de la plus grande exposition
à ciel ouvert d'Europe et on ne dénombre plus les articles
sur la vache de tel sponsor, l'audace de tel artiste, l'originalité
de tel produit de merchandising dérivé, etc… Sur le
site d'Art on Cows, une revue de presse sélective répertorie
ainsi plusieurs dizaines d'articles parus avant même qu'une seule
vache ait posé ses pattes en rue! Tout ça n'est pas trop
étonnant, quand on sait que les organisateurs viennent du monde
de la communication et de "boîtes d'events" qui ont de
nombreux médias pour clients. Et le fait que certains de ces médias
aient financé leur propre vache n'a évidemment rien gâté;
ceux-ci dédiant au projet un retentissement phénoménal,
à travers leurs différentes rubriques et suppléments.
"Tout
le monde aime les vaches"…
Bref, tout
le monde semblait content…Les médias tout d'abord, qui se
demandaient jusque-là quel sujet allait bien pouvoir les occuper,
à part les traditionnels châteaux de sable de la Côte
ou la Foire du Midi. Certains d'entre eux trouvant même l'occasion
de se faire un petit coup de pub, comme "La Libre Belgique"
ou encore "Le Soir" dont la vache dénommée "Victorine"
(en référence au titre de son supplément pseudo-insolite
et à son fondateur, Victor Rossel) signe une chronique hebdomadaire.
Les organisateurs ensuite, qui avaient démarré leur carrière
en vendant aux Communes des plaques de rues sponsorisées, pouvaient
à présent savourer la réussite d'une nouvelle opération,
bien plus prestigieuse et juteuse. La Ville de Bruxelles, qui bénéficie
d'une animation gratuite pendant trois mois, apprécie elle aussi.
A tel point qu'elle aurait déjà demandé aux organisateurs
de plancher sur une nouvelle idée, pour l'an prochain. Enfin, ce
sont bien sûr les sponsors et les publicitaires qui jubilent. Ils
assurent non seulement leur visibilité, à moindres frais,
dans une partie de l'espace public qu'ils n'avaient pas encore su atteindre.
Mais surtout, grâce à la complicité de la Ville de
Bruxelles, ils ont ainsi réussi à créer ce précédent
qu'ils ne manqueront pas de réitérer. Dans "La Libre
Belgique", la banque Fortis confirme quant à elle que sa participation
représente un intérêt commercial tout en lui permettant
de prendre part à un projet culturel. Même enthousiasme dans
un magasin de jouets de la très chic avenue Louise, pour qui l’action
semble porter ses fruits: la vache se trouve à proximité
du magasin et depuis lors, les clients se font plus nombreux. Quant au
parrain principal, il est aux anges. Intimement liée à Cofinimo
(qui joue dans la cour des grands du marché immobilier bruxellois),
la société Robelco explique son parrainage de l'opération
par sa sensibilité à l'intégration harmonieuse du
bâti dans son environnement et par le fait que le concept bovin
correspond totalement à ses valeurs et à son objectif, qui
est de rendre Bruxelles vachement plus belle, plus esthétique,
plus ludique, plus dynamique et plus citoyenne… De vrais altruistes,
ces promoteurs immobiliers!
La citoyenneté
étant un thème porteur, les organisateurs ne se sont en
effet pas privés de l'utiliser. Leur dossier de presse présente
par exemple Art on Cows comme un événement de mobilisation
citoyenne, les habitants de la ville étant mu par le même
enthousiasme de montrer leur ville sous un jour sympathique, bariolé
et bien vivant. "La Libre Belgique" acquiesce: L'exposition
connaît un vaste courant de sympathie auprès des Bruxellois
et des touristes. Mais c'était sans compter sur le fait que tous
les habitants ne partagent pas ce point de vue…
Mais
les "artistes frustrés" et les "vandales" gâchent
la fête!
Moins
d'un mois après l'arrivée des 187 vaches sur le territoire
de Bruxelles-Ville, les organisateurs déchantent. L'expo suscite
certaines jalousies, se lamentent-ils. Et comme le veut la logique du
feuilleton, l'annonce de la première griffe ou oreille cassée
devait suffire à mettre la presse en émoi et à mettre
en boîte un nouvel épisode…
Peu de temps après avoir relayé un appel au respect suite
à de premiers actes de vandalisme, "Le Soir" titre en
première page: La violence n’épargne pas l’art
de rue. Les faits évoqués se sont produits à Liège,
à Ostende… et à Bruxelles, où Art on Cows est
victime de déprédations qui sont notamment l'oeuvre d’enfants
turbulents et de curieux.
Grâce à l’interview de l’une des organisatrices,
"Le Soir" nous apprend en effet que deux types de vandalisme
sévissent. D’une part, il y a le vandalisme normal, provoqué
par la curiosité notamment lorsque des enfants montent sur les
œuvres ou des touristes qui les abîment en prenant des photos.
"Normal" certainement, mais non prévu par les initiateurs
du projet, si l’on en croit du moins le palpitant témoignage
du nettoyeur chargé de la propreté des vaches, publié
en exclusivité par "La Capitale". Selon lui, les visiteurs
n’hésitent pas à grimper sur les vaches. Ca les dégrade,
la couleur part. De plus, certaines vaches ne sont pas attachées
et risquent de tomber. Les vaches n'avaient-elles donc pas été
conçues pour être touchées, chevauchées, ni
même photographiées?…
Aucun journaliste ne s'étonne de cet amateurisme patent. Car à
leurs yeux, le plus grave réside ailleurs: dans le vandalisme de
type organisé, où des groupuscules vont sur place, bien
décidés à saccager les génisses décorées.
Les organisateurs d’ Art on Cows pensent même savoir que ces
attaques ont été commanditées par des individus autres
que ceux qui les ont perpétrés: des petites mains, agissant
pour des commanditaires. Une maffia, en quelque sorte?
Un quotidien de la carrure du "Soir" ne pouvait pas se contenter
de cette lumineuse analyse. Un sociologue fut donc convoqué, pour
nous expliquer comment de tels passages à l’acte sont possibles.
Sa réponse est simple, mais grave: les freins sociaux sont moins
solides; ce vandalisme serait le fait de gens peu habitués à
être en présence d’œuvres d’art. En somme,
des gens "peu cultivés", qui ne vont pas au musée
et qui donc, une fois confrontés à une oeuvre d'art contemporain
en rue, ne peuvent pas reconnaître ce qui est beau… L'artiste
Jacques Charlier confirme: Il y a de la provocation à mettre des
oeuvres d'art face à un public peu habitué aux démarches
culturelles. Peut-être ce public néophyte, pourtant ciblé
par Art on Cows, a-t-il tout simplement confondu les oeuvres avec de vulgaires
pancartes publicitaires?
"Monsieur
Sponsor" dans son pré privatisé
Mais en
quoi ont donc consisté ces attaques graves et inquiétantes
dénoncées avec tant de virulence? Si l'on exclut les traces
de pieds des enfants, les graffitis, une dame de 70 kg qui s'assied sur
le cou d'une vache pour être prise en photo par son mari, et des
témoins qui auraient vu une bande huit personnes – des femmes-
lacérer une vache au cutter en pleine journée, le principal
acte de saccage organisé évoqué consiste en un vol
organisé… Qu'a-t-on donc dérobé qui ait tant
de valeur, si ce ne sont pas des vaches?
La plupart des plaques indiquant les noms des artistes et des mécènes
ont été enlevées, relate "Le Soir". Sans
foi ni loi, ces vandales arrachent le pedigree des vaches. Ce qui révolte
au plus haut point les organisateurs: C’est une atteinte au travail
de l’artiste, car ces plaques constituent pour lui un moyen de se
faire connaître...
En réalité, cette indignation trouve peut-être son
origine ailleurs que dans le souci que les organisateurs portent à
la renommée des artistes. C'est à nouveau "Le Soir"
qui nous l'explique, au détour d'un article qui ne manque pas d'ambiguïté:
Si le nom de leur père nourricier – Monsieur Sponsor –
disparaît, la présence des vaches dans le pré bruxellois
ne se justifie plus guère… A elle seule, cette petite phrase
est non seulement l'aveu de la réelle motivation de la présence
des vaches en rue; mais elle indique également la raison pour laquelle
un commando a probablement choisi d'arracher minutieusement l'ensemble
des plaques.
Néanmoins, les enquêteurs d'Art on Cows en cela relayés
par la plupart des médias, préfèrent privilégier
l’hypothèse de collectionneurs ou de vandales. Tout en continuant
à entretenir amalgame et confusion entre différents types
de vandalisme. Exemple (dans "Le Soir"): puisque les vaches
les plus vandalisées (au Heysel) sont celles qui appartiennent
à des associations, ils en concluent que la disparition des plaquettes
n'a rien à voir avec des motivations anti-commerciales. Ainsi,
tout le monde qui "abime une vache" est mis dans le même
sac et personne ne se demande même pourquoi, justement, toutes les
vaches "associatives" sont exposées au Heysel, loin des
hordes de visiteurs du centre-ville; alors que toutes les autres sont,
elles, condensées dans quelques quartiers prestigieux ou commerciaux…?
Règlements
de comptes à Cow-City

L'insinuation
du "Soir" était claire. D'après l'article, les
vaches ne seraient donc pas principalement des œuvres d’art…
Un débat aurait pu s'amorcer là, les journalistes ayant
une bonne occasion de faire enfin leur travail. En effet, quelques questions
élémentaires ne manquaient pas d'apparaître à
la lecture de ces articles…
Quelle est, par exemple, la réelle proportion d'argent attribuée
au social et au carritatif, dans les différentes transactions financières
bovines (première vente puis vente aux enchères)? Quelles
sont les relations entre les organisateurs et leurs "parrains principaux"
(Robelco, Artecom, Renault…)? Et quid des réelles motivations
de ces entreprises, ou encore de la position équivoque de la Ville
de Bruxelles face à cette publicité camouflée et
non-taxée qui s'expose dans ses rues?
Mais non. Les organisateurs réfutent ce débat et décrètent:
Lorsqu'on nous accuse d'agir dans un but commercial et de ne pas faire
de l'art, ce n'est pas l'objet de la question. Le seul débat qui
les intéresse est d'une autre nature. Il leur faut sauver les vaches
et donc, sécuriser un espace public qui leur paraît aussi
hostile et dangereux que le Far-West. Il n'en faut pas plus pour que les
médias reprennent en choeur ce message sécuritaire. Avec
d'autant plus de vibrato que les organisateurs leur annoncent, atterrés,
que c'est à présent à présent l'enlèvement
d'une vache qu'ils ont à déplorer…
"Deci-Bella" a mystérieusement disparu du Parc Royal.
Bruxellois, on attaque vos vaches!, titre rageusement "La Capitale"
sur toute sa couverture. "La Dernière Heure" s'indigne:
Bruxelles est la première ville où l'on déplore une
telle disparition, profite de l'occasion pour tenter une comparaison sécuritaire
entre Bruxelles, Chicago et Sydney (deux autres villes où des "Cow
Parade" ont été organisées)!
C'est un acte gratuit, nul, débile!, tempêtent quant à
eux les fins limiers d'Art on Cows, pour qui l'affaire est déjà
plaidée: cette fois encore, c'est un seul et même gang organisé
qui a sévit.
Du coup, certaines vaches ont dû être déplacées
dans des endroits moins dangereux pour elles, plus près de leur
sponsor. Les organisateurs disent même avoir peur de devoir annuler
leur exposition, si trop de sponsors en arrivaient à vouloir mettre
leur vache "en sécurité" (dans une vitrine, un
centre commercial…). Alors pour eux, le temps de l'action a sonné…
Une conférence de presse est organisée. Le message est confus.
Un organisateur clame d'abord son ouverture au dialogue avec les anti-vaches.
Puis, furieux, le patron d'Art on Cows se lâche: On nous cherche
visiblement, mais je dis à ceux qui nous cherchent qu’à
partir d’aujourd’hui, c’est nous qui allons les rechercher!
Ambiance.
Les organisateurs ne décolèrent pas. C’est à
ce point, affirme "La Capitale, qu'ils ont décidé de
réagir vivement, en invitant le public, qui de toute évidence
aime ces vaches, à dénoncer les inciviques via internet.
L'Echevin de la Culture de Bruxelles compatit à leur douleur et
se prend lui aussi à vouloir jouer au Sheriff. Tombant pieds joints
dans le panneau, Henri Simons déclare à "La Libre Belgique"
avoir sensibilisé la police de Bruxelles à cette question
des vaches.
C'est avec un premier degré pathétique que les journalistes
traitent ce nouveau coup de vache, se contentant de "dévoiler"
des mesures dignes d'un Western: un avis de recherche national et international
a été lancé pour retrouver "Deci-Bella",
une plainte contre X a été déposée, la police
enquête, les organisateurs sèchent leurs larmes tandis que
les mesures de sécurité et de surveillance ont été
renforcées en ville et qu'un Cow-Hospital va voir le jour pour
réparer les vaches vandalisées! Personne ne relève
que ce "service après-vente" (payant pour les sponsors)
n'avait pas été prévu jusque-là; ce qui en
dit pourtant long sur la naïveté des organisateurs, s'imaginant
que des objets placés en rue pendant trois mois ne subissent pas
de détériorations.

Elan
civique contre "les lâches et les jaloux"
Appel
à la délation et avis de recherche relayés abondamment
par la presse, sensibilisation de la police… Quel formidable élan
de civisme spontané! Et quelle vision touchante d'une ville plus
dynamique et plus citoyenne! Pourtant, cette délirante dramatisation
des enjeux n'a pas suffit à rassurer les organisateurs. D’après
le jugement expert de ceux-ci, la police bruxelloise est moins présente
dans les rues qu’à New-York ou à Luxembourg. Et cela
leur pose problème. Suivons leur regard…
Puisque la police ne fait pas bien son travail, voilà le privé
qui vient à la rescousse. Securis, la société chargée
de la protection et de la surveillance des vaches, travaille aujourd’hui
en collaboration avec la police pour retrouver cette bande organisée.
Elle va aussi désormais renforcer ses rondes, et ce gracieusement
selon certains journaux!
Mais alors qu'ils s'étaient faits les porte-parole d'organisateurs
vitupérant sur ces lâches, qui ne signent pas leurs actes
et agissent à visage couvert, la plupart des médias se sont
bien gardé de signaler à leurs lecteurs quand une lettre
de "revendication" fut envoyée à propos de la
disparition de "Deci-Bella". Seule "La Capitale" y
consacra un article, mettant à nouveau les vaches en Une de son
édition.

Mais ni
"Le Soir" ni "La Libre", qui avaient pourtant fait
grand cas de ce vol et relayé les hypothèses les plus fantaisistes
sur ses motivations, n'ont pas jugé utile de l'évoquer.
Normal, sans doute, puisque la vache y signait elle-même un appel
à l'émeuh-te, dénonçant la mascarade commerciale
d'Art on Cows et incitant les autres vaches à s'évader comme
elle, loin de l'esclavage promotionnel et publicitaire auquel elles sont
soumises ("La Capitale"). Le "Soir" et "La Libre"
ont peut-être eu peur que leurs vaches soient à leur tour
prises de démangeaisons…
Interrogé sur la lettre de "Deci-Bella", un organisateur
réagit dans "La Capitale" en pointant les coupables:
ce sont des artistes contestataires qui défendent un art purement
intellectuel. Sa collègue complète leur portrait: ce sont
des jaloux…
Quelques semaines plus tôt, la même déclarait au "Soir"
que les gens qui saccagent ainsi les oeuvres ne font souffrir que les
artistes. Et la voilà, s'appitoyant sur le sort de cette vache
qui ne pourra plus être mise en vente au profit d'oeuvres caritatives,
omettant cependant de rappeler aux lecteurs que sa société
empoche 22% de cette vente, que le sponsor (récupérant ainsi
au moins une partie de sa mise) et le concepteur suisse du projet prélèvent
chacun une commission semblable (25% et 20%), ou encore que ladite vente
aux enchères est avant tout conçue comme un "return"
pour les patrons (publication d'un catalogue, présence des vaches
pendant cinq jours sur la Grand Place, nouvelle campagne de presse, etc.).
Dans "Zone 02", la gentille organisatrice explique moins naïvement
sa désolation pour la vache disparue: le sponsor (Fortis Banque)
est attristé, s'émeut-elle…
La
presse incendiaire sollicite Krishna pour un "happy end"…
Dix jours
plus tard, quand une seconde vache vient à disparaître des
prés bruxellois, le mot d'ordre est "motus et bouche cousue".
Cette fois, ni conférence de presse, ni échos dans une presse
qui avait pourtant prouvé sa complaisance. Pas de revendication,
non plus. Il faut découvrir sur internet un nouvel avis de recherche,
pour apprendre qu'il s'agit en fait d'une demi-vache puisque c'est la
moitié de "Marguerite" qui a cette fois mis les voiles.
Son autre moitié sera réduite en cendres, fin août,
provoquant de nouvelles réactions enflammées "La Libre"
trouve cela lamentable tandis que "La Capitale" estime qu’il
s’agit d’un acte dangereux pour l’environnement. Quant
au "Soir", il s’adresse directement à l’auteur
de l’immolation via une véritable leçon de morale
signée par la vache "Victorine". Extrait: Aujourd’hui,
seuls les hindous nous honorent encore. Aux Indes, nous sommes libres
et protégées de Krishna (…) Et c’est sans compter
qu’en retour, nous y offrons aux hommes notre lait, nos fils pour
qu’ils tractent les charrues et notre bouse pour qu’elle nourrisse
la terre (…) Là-bas, nous sommes encore sacrées. Et
présentes dans les villes telles des ambassadrices rappelant aux
humains le respect qu’ils doivent à leur terre nourricière.
C’est un peu pour cela, aussi, que nous étions installées
pour l’été à Bruxelles…
Henri Simons émet l’hypothèse d’une incompréhension
face à l’art contemporain. Les organisateurs, eux, veulent
se faire justice. C’est désolant pour la Belgique et pour
Bruxelles, commentent-ils. Suite à cette nouvelle déclaration
de guerre, ils suggèrent que les auteurs de cet attentat anti-Belge
soient punis sévèrement par les autorités de la Ville.
Ils ajoutent penser sérieusement à enfermer les vaches pour
les protéger. Mais: nous ne pouvons pas placer un homme auprès
de chaque vache, avouent-ils désolés. Ils avancent dès
lors une solution qui reviendrait à démonter l’expo
et à enfermer toutes les vaches en milieu fermé… Dans
la vitrine de chacun des sponsors, par exemple? Ou dans un centre commercial,
comme le sort qui fut déjà réservé cet été
à l’exposition de pipes géantes à Liège?…
Une solution qui a au moins le mérite de rendre plus clair le véritable
pedigree des vaches d’Art on Cows.
Quant
au Cow-hospital qui avait été ouvert pour soigner les bêtes
malades et lancé à grand renfort d'effets d'annonce, "Le
Soir" nous apprend qu'il reste désespérément
vide et ne sert donc à rien… Etonnant, non? "La Capitale"
détaille: certaines vaches ne seront réparées que
pour la vente aux enchères et conservées chez les propriétaires
ou dans un endroit fermé, en sécurité.
Jalousie, violence, lâcheté, vandalisme… Commando,
gang organisé…
Proportionnellement aux éloges qu'ils avaient réservées
à la ´Promenade des vachesĒ, les médias n'ont pas
lésiné sur les mots pour condamner les "actions anti-vaches".
Entre les vandales et les organisateurs, il ne s'est trouvé aucun
journaliste pour se demander lequel des deux gangs est réellement
le plus organisé…!?
Ils ont préféré distiller le prêt-à-penser
d'Art on Cows et véhiculer une vision caricaturale de la société.
Où de gentilles entreprises désintéressées
font du mécénat artistique ("patronat" artistique?),
où les citoyens sont des patriotes soucieux de l'image internationale
de leur ville, où des ´créatifsĒ sympas font de l'art
"chouette"… Mais où, néanmoins, les vandales
agissent en toute impunité, des sociétés de gardiennage
devant prêter main forte à la police et les organisateurs
privés devant organiser leur propre justice…
Enfin, les médias n'ont pas hésité à consacrer
aux vaches un espace à faire pâlir les plus grands festivals
culturels. La place consacrée à la disparition d'une vache
en fibre de verre était sans comparaison avec, par exemple, le
peu d'écho réservé le même jour à l'arrestation
de vingt-deux sans-papiers équatoriens à Saint-Gilles…
L'été
bruxellois était vraiment digne d'une mauvaise série B.
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